Jeunesse, mon amour

Un film de Léo Fontaine

8 mai 20241h10Drame

ENTRETIEN AVEC LÉO FONTAINE

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Comment est né le projet ?

Léo Fontaine - L’adolescence est une thématique qui m’a toujours inspiré. C’est une période de ma vie à laquelle je repense souvent avec nostalgie. J’ai toujours cherché à réaliser un film de groupe, et à traiter la question de grandir au sein d’un groupe, de comment trouver sa place. Pour ce film, très rapidement, il y avait l’idée de parler de l’enfance, des amitiés, le souvenir que cela nous évoque. J’avais seulement quelques pages de scénario mais une idée précise du décor, de là où devait se dérouler l’histoire et des personnages. J’ai d’abord travaillé le scénario avec Yves-Batek Mendy puis j’en ai parlé avec mon équipe, et je me suis rendu compte que j’avais tout pour faire ce film, les décors, le casting et l’équipe technique pour me suivre. Quand j’en ai parlé aux producteurs, on a décidé de le tourner durant l’été et de le faire rapidement pour ne pas perdre cette énergie de troupe que j’étais en train de constituer. Cela a impliqué un tournage réduit en nombre de journées mais faisable par sa configuration.

Pourquoi avoir choisi ce sujet : le délitement des amitiés d’enfance ou de jeunesse lors du passage à l’âge adulte ?

L’idée de départ du film part de cet adage « On commence à perdre ses amis d’enfance à partir de l’âge de 25 ans ». C’était une phrase que j’avais lu par hasard sur internet (Facebook) et qui m’avait toujours marqué tant je la trouve trop actée. Mais plus je grandis et plus je réalise qu’elle a une part de vérité palpable. Je voulais parler de l’adolescence et du groupe d’amis car je trouve que c’est une période qui nous constitue en tant qu’adulte/être humain. Je voulais aussi me poser la question en tant qu’homme de 28 ans : « Qu’est-ce qu’il me reste de cette période ? ». Et si finalement cet adage, un peu créé de toutes pièces, avait sa part de vérité... Est-ce que ce serait triste de réaliser que l’on perd nos amis d’enfance en grandissant car ils constituent une base importante de notre vie ? Ou bien est-ce réjouissant d’y penser car ils représentent des souvenirs indélébiles ?

Même s’il y a une certaine universalité dans ton sujet, y-a-t’il une part autobiographique dans cette histoire ?

Il y a une grande part autobiographique dans ce film. Du fait des questions qui ont motivé l’histoire et l’envie de le faire mais aussi parce que j’ai moi-même grandi dans le genre de groupe que je mets en scène dans le film. Des groupes qui partagent tout, amitié, amour, haine… Le tournage m’enfonce encore plus dans l’autobiographie puisque je tourne dans le jardin de ma maison d’enfance et dans le bois dans lequel je promène mon chien quotidiennement. D’ailleurs, je filme également mon chien, Walle. Ce film regorge de souvenirs de mon adolescence à tous les endroits. C’est aussi pourquoi ce film s’est fait dans une certaine urgence comme s’il y avait un besoin de parler de ce constat maintenant, de peur que les sentiments m’échappent avec le temps.

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Il ressort du film comme une grande spontanéité ou on ressent qu’il est porté par une grande énergie. Comment s’est passé l’écriture, la préparation et le tournage ?

Nous sommes partis en production avec un scénario d’une quarantaine de pages qui grosso modo, résumait les grandes lignes et grands arcs narratifs. J’avais aussi des fiches très précises des personnages et du chemin qu’ils devaient emprunter tout au long de l’histoire. Pour le reste, il y a eu une grande part d’improvisation et de création sur place. Certaines scènes étaient très écrites, d’autres ont totalement été inventées sur le plateau, avec mon équipe technique et mes comédiens. Je pense que l’énergie qui est insufflée dans l’image vient aussi du lien fort et de la confiance que j’ai avec mon équipe technique et artistique. Pour la plupart, ce sont des personnes avec qui j’ai fait mes courts-métrages. C’est une façon de faire qui apporte son lot de risques mais qui fut très agréable dans la création.

Comment s'est passé le choix des comédien·ne·s ? Certain·e·s avaient déjà collaboré avec toi sur tes courts-métrages, était-ce un choix évident pour toi de continuer avec ces personnes ? Et comment les autres sont arrivé·e·s sur le projet ?

Pour la plupart des comédiens, nous sommes amis dans la vie. Certains ont déjà tourné dans mes courts-métrages, d’autres font partie de ma « famille » de cinéma et donc je suis leur travail depuis longtemps. J’ai écrit les rôles en pensant à eux et je les ai appelés pour leur proposer. Nous avions un désir commun de travailler ensemble. Il n’y a que Clémence Boisnard que je ne connaissais pas personnellement avant le tournage, qui est arrivée plus tard que les autres sur le projet, mais je connaissais déjà son travail à travers les films dans lesquels elle avait joué et que j’avais vus.

Je crois savoir que le travail de montage a aussi été important. Peux-tu nous en dire plus ?

Durant le tournage, nous avons tourné toute une partie du film à deux caméras dans le but de capturer un maximum d’images. Aussi, nous sommes arrivés en montage avec énormément de matière. Et ce fut un long parcours que d’arriver à la version finale. Il fallait décortiquer les scènes et surtout apporter une nouvelle écriture à cette histoire. Nous avons longtemps jonglé entre les versions, déplaçant des séquences d’un endroit à un autre. Il fallait aussi réussir à couper ce qui n’était pas important pour l’histoire.

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Comment as-tu pensé/travaillé la musique du film ?

J’ai travaillé la musique avec Côme Ordas qui est un compositeur avec qui j’ai l’habitude de collaborer. Je n’ai pas parlé à Côme du film avant d’avoir terminé le tournage. Pour ainsi dire, il n’était pas vraiment au courant de ce qu’on tournait. Je suis allé le voir après avec des images et l’idée de créer une bande-originale pour le film. Tout de suite, on a cherché un axe musical qui pouvait épouser la narration et on est parti dans l’idée d’écrire comme un opéra « baroque » centré sur les chœurs afin d’amener l’histoire dans quelque chose de sacré. Pour ce groupe, les souvenirs qu’ils partagent ont quelque chose de sacré, nous voulions que la musique accentue cet effet-là. Ensuite, on se faisait de longues sessions sur plusieurs jours où on s’enfermait dans son studio pour confectionner la musique devant les images.

Quelles sont tes influences, qu’est-ce qui nourrit ton cinéma ?

J’aime explorer différents styles de cinéma, et il y a beaucoup d’auteurs qui m’inspirent. Quand je pense à la jeunesse, je vois tout de suite Larry Clark, Harmony Korine et Gus Van Sant, cette nébuleuse du cinéma indépendant américain qui apporte un point de vue différent sur toute une partie de la jeunesse américaine. J’adore aussi énormément le cinéma d’après-guerre italien, Pasolini, Rosselini, qui ont eu cette fougue de montrer les choses sans concession, de tourner coûte que coûte comme par nécessité vitale. En France, Rohmer m’inspire beaucoup par la radicalité de ses partis-pris, une prise, pas de répétitions, lumière naturelle… C’est bluffant !

Qu’as-tu appris en réalisant ce premier long-métrage ?

Tout ce que tu filmes doit avoir du sens et doit contribuer à faire avancer l’idée de départ. Cela permet de faire des choix forts, d’avoir des partis-pris. J’ai aimé cette idée de prendre des risques dans la mise en scène, de se mettre en danger au service d’une histoire à défendre. C’est quelque chose que je souhaite maintenant approfondir dès le développement du scénario.

Tes films portent sur l’adolescence et la jeunesse, mais ton dernier court-métrage, Qu’importe la distance, qui a par ailleurs été très remarqué au dernier festival de Clermont-Ferrand, fait le portrait d’une femme, mère de famille. Est-ce un tournant dans ton cinéma ? Quels sont tes prochains projets ?

Les films sociaux/engagés m’ont toujours fasciné. Ken Loach, les Dardenne, ou même, dans un genre similaire, Pialat, sont des auteurs qui arrivent à traiter de sujets forts et ancrés dans la réalité du quotidien, à travers des personnages « du commun des mortels ». Ils en font des héros et se positionnent dans la société en tant que cinéastes. C’est un point de vue qui m’inspire beaucoup et me remets en question : quelle est ma vision du monde en tant que cinéaste ? Avec Qu’importe la distance, un de mes courts-métrages, je mets un pied dans ce genre. C’était, là aussi, un coup d’essai, un sujet sur lequel je suis tombé et qui m’a transporté. J’espère aussi pouvoir me rapprocher de ce genre de cinéma à l’avenir, sans que cela veuille dire que ce soit un tournant car j’estime être encore au début de mon parcours. Je découvre encore beaucoup de choses sur ce qui me touche et sur ce dont j’ai envie de parler, mais c’est sûr que j’aimerais pouvoir être de plus en plus engagé dans mon travail.

Actuellement, je travaille sur un prochain court-métrage que je devrais tourner à l’automne prochain. Sinon je suis en train d’écrire un prochain long-métrage pour lequel j’ai la sensation de vouloir passer plus de temps dans le développement du scénario.

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